Le congé menstruel

Le congé menstruel

Est-ce que ça vous est déjà arrivé de vous plier en deux sous la douleur des crampes, d'imaginer pouvoir repousser une réunion à cause des maux de têtes lancinants ou de rêver de ne pas  aller au travail ou en cours à défaut de pouvoir arracher votre utérus pour mettre fin à la douleur  ? 

 

Et si c’était ça finalement la solution ? Pas de s’arracher l’utérus évidemment, mais ne pas se rendre au travail ou à l’école, ou tout simplement de ralentir pendant ces quelques jours durant lesquels notre corps accomplit son rôle mais nous laisse plus fatiguée, voire carrément K.O. 

 

Et si on permettait aux personnes menstruées… de prendre un congé ?  


Un progrès dans la prise en compte de la santé menstruelle 

Ce que prévoit la proposition de loi 

En France, une femme sur deux déclare avoir des règles assez ou très douloureuses, 1 femme sur dix souffre d’endométriose et 81% des femmes disent expérimenter des symptômes désagréables pendant leurs règles qui vont de la fatigue à l’irritabilité en passant par le malaise avec son corps. 

 

Pour y remédier, la France réfléchit à instaurer un congé menstruel, c’est-à-dire à donner la possibilité aux personnes menstruées de poser des jours d’arrêt de travail en cas de règles douloureuses ou accompagnées de symptômes contraignants qui rendent l’accomplissement du travail difficile. 

 

Le 26 mai 2023, les député.e.s écologistes ont déposé une proposition de loi devant l’Assemblée nationale qui prévoit : 

  • 13 jours de congé menstruel par an à poser séparément ou consécutivement, sans limite mensuelle ; 
  • leur prise en charge par la sécurité sociale sans jour de carence, donc sans perte de salaire. Les personnes concernées n’auraient pas besoin de dévoiler le motif de leur arrêt de travail. Concrètement, elles auraient besoin de déposer un certificat médical valable un an et renouvelable sur Ameli pour obtenir un justificatif à envoyer à l’employeur ;
  • la possibilité de recourir au télétravail ; 
  • une obligation de formation tous les trois ans au sein de l’entreprise sur la santé menstruelle et gynécologique dans le monde du travail. 

Évidemment, la proposition de loi rappelle l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’état de santé menstruelle et gynécologique dans la vie professionnelle, que ce soit au niveau du recrutement, de la formation, de la rémunération ou de l’évolution carriérale. 

 

Ce n’est pas la première initiative de ce genre en France. Le 15 mars 2022, une proposition avait déjà été déposée devant l’Assemblée. Elle prévoyait l’amélioration du temps et de l’espace de travail au sein de l’entreprise à travers la mise en place de protections hygiéniques ou la favorisation du télétravail pour les personnes ayant fait une fausse couche, souffrant de règles douloureuses, de maladie menstruelle ou des effets de la ménopause. 


Un congé déjà adopté à l’étranger 

L'idée n'est pas non plus nouvelle en Europe, ni même dans le monde : en février 2023, l’Espagne a voté la mise en place d’un congé menstruel pris en charge par l’Etat, pour les personnes menstruées souffrant de règles douloureuses, sur présentation d’un avis médical. 


Mais le pays précurseur, c’est le Japon, premier à l'avoir mis en place en 1947 sans limite de jours, suivi de l’Indonésie en 1948, de la Corée du Sud en 2001 et de Taïwan en 2013. En Zambie, le « jour des mères » permet aux femmes de s’absenter du travail sans avoir besoin de certificat médical. 

 

Ce congé menstruel s’inscrit dans une démarche de sensibilisation et de promotion de la santé menstruelle et gynécologique. Il s’agit de lever les tabous sur les règles et les maladies gynécologiques et de prendre en compte une réalité biologique qui ne s’arrête pas aux portes du bureau avant la journée de travail ou d’études. 


En effet, selon une enquête de l'Ifop sur les difficultés à vivre ses règles au travail menée en 2022, 35% des femmes révèlent que leurs règles ont un impact négatif sur leur travail. Deux tiers des femmes seraient favorables à l’instauration d’un congé menstruel et seulement 10% y sont totalement opposées.


Alors, pourquoi le congé menstruel fait-il débat ?


Comprendre le débat autour du congé menstruel

Une crainte de la hausse des discriminations 

Tout d’abord, certaines associations comme l’Observatoire de l’égalité ou Osez le féminisme craignent une hausse de la discrimination à l’embauche et salariale et du harcèlement au travail, malgré l’interdiction légale. Une crainte partagée par 77% des personnes menstruées. 

 

Parmi les plus grandes inquiétudes des personnes qui disent qu’elles n’y auraient pas recours, on trouve : la peur de voir leur parole remise en cause (c’est-à-dire la peur de s’entendre dire qu’elles exagèrent pour ne pas avoir à travailler, de passer pour des feignantes), la peur du regard des autres, qu’il s’agisse des managers, des collègues ou même des clients et, enfin, la peur de ralentir leur carrière professionnelle

 

Au Japon, par exemple, qui est l’un des pays les plus inégalitaires dans le monde du travail entre hommes et femmes, une étude du Ministère du travail montre que seuls 0,09% des femmes ont pris un congé menstruel en 2016. Mais ce chiffre s’explique aussi par le fait que l’employeur n’est pas tenu d’indemniser les jours manqués. 

 

Pour y remédier, certaines voix ont proposé d’octroyer un nombre fixe d’arrêts maladie sans justificatif et pris en charge par la collectivité aussi bien pour les hommes que pour les femmes. Néanmoins, cette solution risque d’avoir du mal à être entendue à cause du manque de fondement pour les hommes. 


Une peur de perte de productivité 

Par ailleurs, les entreprises redoutent des abus mais aussi une baisse de la productivité pour leur entreprise à cause de l’absence des salariées. Cependant, on pourrait y opposer que le congé menstruel permettrait une meilleure récupération physique et un allègement de la charge mentale des salariées (peur d’avoir une tâche, réflexe de se cacher pour prendre ses protections hygiéniques, dissimuler sa fatigue et sa douleur, etc) qui mènerait à une hausse de la productivité dans les jours suivants. 


Un risque d’invisibiliser les pathologies gynécologiques 

La plus grande appréhension, qui provient notamment des associations féministes, c’est la peur que ce congé menstruel ne cantonne les règles et la douleur au foyer et ne participe à les invisibiliser ou à banaliser les pathologies menstruelles. Il est donc important de rappeler que souffrir le martyr durant ses menstrues n’est pas normal : il faut aller consulter un ou une spécialiste. 

 

Ainsi, l’instauration d’un congé menstruel ne doit pas être une excuse pour ralentir la recherche médicale sur les pathologies gynécologiques. Elle ne doit pas servir à dire aux femmes : « souffrez mais souffrez chez vous ». Au contraire, elle doit s’accompagner d’une sensibilisation autour de la santé menstruelle. C’est pourquoi l’obligation de formation triennale que contient la dernière proposition de loi est bienvenue.


Les zones d’ombre de la proposition de loi

Il n'y a pas encore d’estimation de ce que cela coûterait financièrement à l’Etat et à la collectivité. 


En outre, il n’y a pas non plus d’études assez solides : les chiffres partagés proviennent de sondages mais on ne sait pas si les résultats positifs comme les réticences sont fondés. 

 

Enfin, les propositions de loi ne mentionnent pas le domaine scolaire, où il y a eu du progrès avec les distributeurs de protections hygiéniques gratuites. Mais on ne sait pas si des justificatifs ou des exemptions seraient délivrés aussi du collège aux études supérieures. 


Quelles sont les alternatives possibles ?

La première, ça serait tout simplement d’encourager les employeurs à mettre en place un congé menstruel s’ils le souhaitent, pris en charge par l’Etat.


De même, certaines PME ou grandes entreprises ont pris des mesures innovantes. C’est le cas de Carrefour qui offre, uniquement à ses salariées souffrant d’endométriose, de prendre 12 jours de congés par an financés par l’entreprise. L’Oréal quant à elle octroye 3 jours de congés aux employées ayant fait une fausse couche ou atteintes d’endométriose. Depuis 2021, c’est la mairie de Saint-Ouen qui expérimente un congé menstruel de deux jours par mois, toujours pour les femmes touchées par l’endométriose.  

 

Les entreprises peuvent aussi favoriser le télétravail, permettre des horaires flexibles ou aménager des espaces de repos où on pourrait s’allonger et se reposer. Bien-sûr, pour certains métiers le télétravail est compliqué, mais on peut commencer par faire preuve de tolérance, de flexibilité et d’empathie. Cela favoriserait le développement d’un environnement de travail plus serein et renforcerait la confiance entre les employeurs et les salariées. On estime d’ailleurs que la mise en place d’un congé menstruel rendrait l’entreprise plus attrayante aux yeux des personnes qui pourraient en bénéficier. 


Pour l’instant, la proposition de loi n’a pas été adoptée, mais l’initiative a été saluée par la Première Ministre, Emmanuelle Borne. Quoi qu’il en soit, elle aura eu le mérite d’avoir ouvert le débat, d’avoir sorti les règles de la sphère purement intime et d’avoir soulevé la question des menstruations au travail. 


Et vous, vous êtes plutôt favorable ou défavorable à l’instauration d’un congé menstruel ? Et sous quelle forme ? 


Sources


Allo Docteurs. (2021, 15 juin). Faut-il instaurer un congé menstruel ? - Le Magazine de la 

Santé [Vidéo]. YouTube. Consulté le 14 juin 2023, à l’adresse

https://www.youtube.com/watch?v=FUV8t0ZgAtk 


Afp, S. (2023, 10 avril). Congé menstruel : ces pays qui l’ont déjà mis en place. Le Point. https://www.lepoint.fr/societe/conge-menstruel-ces-pays-qui-l-ont-deja-mis-en-place-10-04-2023-2515692_23.php#:~:text=Pays%20d%27Afrique%20australe%2C%20la,en%20cas%20de%20r%C3%A8gles%20douloureuses 

 

Assemblée nationale. (2023, 10 mai). Proposition de loi  n°1219 relative à la prise en compte de la santé menstruelle. https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1219_proposition-loi#:~:text=L%27article%201er%20pr%C3%A9voit%20la,personnes%20souffrant%20de%20menstruations%20incapacitantes 

 

Cordier, S. (2023, 26 mai). Congé menstruel : plusieurs propositions de lois déposées au Parlement sur le sujet. Le Monde.fr. https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/05/26/conge-menstruel-plusieurs-propositions-de-lois-deposees-au-parlement-sur-le-sujet_6174978_3224.html 

 

Étude Ifop pour Eve and Co réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 17 au 18 avril 2021 auprès d’un échantillon de 1010 femmes, représentatif de la population féminine française âgée de 15 à 49 ans résidant en France métropolitaine. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2021/05/Rapport_Intimina_2021.05.12.pdf 

 

Étude Ifop pour Intima réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 12 au 15 septembre 2022 auprès d’un échantillon de 993 femmes, représentatif de la population féminine française âgée de 15 et plus. IFOP & Eve and Co. (2022). Le congé menstruel, vraie ou fausse bonne idée ? : Enquête sur les difficultés à vivre ses règles au travail et l’attrait des salariées pour le congé menstruel. IFOP. https://www.ifop.com/wp-content/uploads/2022/10/119422-PPT.pdf 

 

Kachaner, A., & Lair, N. (2023, 26 mai). « Congé menstruel » : ce que l’on sait de la proposition de loi des écologistes. France Inter. https://www.radiofrance.fr/franceinter/conge-menstruel-ce-que-l-on-sait-de-la-proposition-de-loi-des-ecologistes-2733376 

 

Public Sénat. (2023, 23 février). Congé menstruel : la sénatrice Hélène Conway-Mouret à

l’origine d’une proposition de loi [Vidéo]. YouTube. Consulté le 14 juin 2023, à l’adresse 

https://www.youtube.com/watch?v=SLTJfFibQzM 

 




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