Fêter l’apparition de ses premières règles avec un câlin, un cadeau, parfois même avec un gâteau surmonté de tampons en pâte à sucre à l’occasion d’une period party, c’est une tendance venue des Etats-Unis pour briser le tabou autour des menstruations et rassurer son enfant qui voit du sang s’écouler de son vagin pour la première fois.
Mais les Américain.e.s ne sont pas les seul.e.s à célébrer les premières règles (qu'on appelle d'ailleurs les ménarches). À travers le monde, de nombreux rites de passage marquent la transition de l'enfance à l'adolescence ou à l'âge adulte et ils ne sont d'ailleurs pas tous caractérisés par l'arrivée des menstruations.
Comment sont accueillies les premières règles dans le monde ?
Commençons par ce qui est moins fun : il reste énormément de pays, de cultures, de familles dans lesquels les règles sont taboues voire mal vues et où leur première apparition ne fait pas l’objet d’une célébration, bien au contraire. On a souvent cette idée reçues que notamment en Asie ou en Afrique, les règles sont taboues et sont perçues comme impures et nécessitent dont à la femme de s’isoler mais ça ne correspond pas à une réalité absolue. Et surtout, dans plusieurs de ces cultures, on célèbre cette « force vitale » qui fait partie de la femme, ce qui n’est pas le cas à l’origine en Occident. La sensibilisation menstruelle demeure un enjeu majeur de l'égalité des genres et de l'autonomisation des femmes et beaucoup de travail reste à faire, partout dans le monde.
Des traditions aux significations diverses
Dans les traditions qui marquent l'apparition des règles, les rites trouvent en général leur origine dans des croyances qui leur associent une symbolique, une prédiction ou l’acquisition de caractéristiques ou de qualités, souvent positives (mais pas que). En voici quelques-unes :
En Turquie, en Grèce, dans plusieurs pays d’Europe de l’Est mais aussi en Israël et dans certaines familles juives… on gifle l’adolescent.e menstrué.e qui vient d’avoir ses règles. La première personne mise au courant (souvent la mère) lui donne une claque assez forte. Les raisons évoquées sont diverses et parfois un peu floues. On a du mal à retracer l’origine de cette pratique mais les explications qui reviennent le plus sont : la volonté de retrouver des couleurs dans les joues, celle de faire circuler le sang jusqu’au visage, inciter à une certaine pudeur ou préparer l'enfant à la douleur future des règles.
En Israël aussi on fait lêcher une cuillère de miel la première fois pour que les menstruations suivantes soient moins douloureuses. Et ça, ça arrangerait pas mal de concerné.e.s je pense.
Au Ghana, les filles doivent avaler un œuf dur, tout rond, sans le croquer parce que le croquer ça serait l’équivalent de manger ses enfants.
Au Japon, la mère souvent, prépare un plat à base de haricots azuki et de riz gluant, appelé sekihan. Les autres membres de la famille doivent deviner que ce plat est préparé pour cette occasion-là, ce n’est pas dit explicitement. Sa couleur rougeâtre/rosée renvoie à la fertilité mais est aussi plus largement associée à la fête au Japon.
Les ménarches, synonymes de réjouissances
En Afrique du Sud, la jeune fille concernée ne doit pas sortir de chez elle pendant trois jours. Elle n’est pas censée côtoyer d’hommes ni d’enfants durant toute la durée de ses ménarches. Puis, une grande fête est organisée pour l’occasion, durant laquelle on invite des amies et on lui offre des cadeaux.
En Éthiopie et dans plusieurs pays d’Afrique du Nord, les premières règles sont un événement joyeux, durant lequel on offre des cadeaux et de la nourriture.
En Inde, il y a plusieurs traditions qui se côtoient. L’une d’elles est hindoue et consiste à organiser la cérémonie du sari (ritu kala samskaram) qui marque le passage de l’enfance à l’âge adulte et durant lequel les filles reçoivent leur premier demi-sari ou sari deux pièces. Souvent, elles porteront le sari une pièce lorsqu’elles seront mariées, ce qui marque une autre transition.
Au Brésil, tous les membres de la famille sont mis au courant, femmes comme hommes, et amies.
Entre initiation et introspection
Il arrive aussi que cette fête soit précédée d’une initiation comme au sein de la tribu amazonienne des Ticunas : les jeunes femmes s’isolent pendant plusieurs mois pour en apprendre plus sur l’histoire de leur tribu, sur leurs croyances, sur leur féminité. C’est un moment d’introspection et d'apprentissage qui leur est dédié. Et à leur retour, une fête est organisée.
Dans le clan autochtone Oglala (fait partie des Lakotas et qui vit dans ce qui est appelé la réserve indienne de Pine Ridge, dans l’actuel Dakota du Sud), lors de l’apparition de leurs premières règles, débute le rite Isnati Awicalowanpi. Les concernées se rendent dans un tipi situé à l’extérieur du village et une femme plus âgée et expérimentée leur apprend ce que sont leurs devoirs d’épouses et de mères. Puis, une cérémonie est organisée, guidée par un chaman pour assurer leur fécondité et marquer le passage à l’âge adulte.
À quoi ça sert de célébrer l'apparition des premières règles ?
Au-delà de l’héritage culturel que l'on transmet et perpétue, marquer l'apparition des ménarches par une célébration, quelle qu'elle soit, permet de rassurer et de dédramatiser cet évènement. C'est une manière de briser le tabou et la potentielle honte pour donner à ce jour parfois effrayant ou honteux un tournant beaucoup plus joyeux et optimiste. Un petit cadeau n'est pas indispensable mais peut être bienvenu.
Ce peut également être l'occasion de créer ou de renforcer un lien de confiance avec la personne concernée, de témoigner de sa présence et de son aide, sans l'imposer. Une démarche qui peut parfois casser avec sa propre mauvaise expérience.
De plus, le moment peut se prêter à des explications un peu plus fournies, un peu plus concrètes, à des partages d'expériences ou d'anecdotes avec des membres de sa famille ou des amies, si on est à l’aise. (Même si, bien sûr, c’est mieux d'être au courant de ce que sont les règles et le cycle menstruel, avant le jour J).
Enfin, la dimension symbolique de la célébration vise dans la majorité des cas à marquer le passage d’une nouvelle étape de la vie qu’on appelle souvent… devenir une femme.
Quid des célébrations non liées aux règles ?
Des célébrations qui marquent le passage symbolique, mais pas que, de l’enfance à l’âge adulte, il en existe d’autres, qui ne sont pas liées aux règles même si elles interviennent dans les mêmes tranches d’âge.
Certaines ont des origines religieuses comme la confirmation, qui, chez les Catholiques, a lieu entre les 12 et les 18 ans ou la bar ou bat mitzvah qui constituent la majorité religieuse chez les garçons juifs à 13 ans et filles juives à 12 ans.
Elles peuvent aussi être culturelles comme la Quinceñera chez les Sud-Américaines ou les Sweet Sixteen aux Etats-Unis.
Enfin, d'autres sont civiles, comme au Japon où est organisée la cérémonie de la majorité, Seijin shiki, tous les ans, le deuxième lundi de janvier. C’est un jour férié national. Les Japonais et Japonaises qui ont eu ou auront 18 ans (c’était 20 ans, jusqu’en 2022), se rendent à leur mairie et assistent à la cérémonie avec des discours inspirants et des cadeaux, censés les inciter à devenir des adultes responsables et respectables. Cette coutume dérive d’une cérémonie religieuse shintoïste qu’on retrace au VIIIe siècle, appelée genpuku pour les garçons et mogi pour les filles, souvent nobles, durant laquelle ils et elles recevaient leurs habits d’adultes et leur nouveau nom pour les garçons.
Est-ce qu’il existe l’équivalent chez les hommes ?
Il existe aussi des rites de passage chez les hommes cisgenres mais ils sont moins marqués par l’arrivée d’un phénomène biologique. Peut-être parce qu’il n’existe pas de signe de la puberté aussi court et marqué que les premières règles qui ne durent que quelques jours (contrairement à la mue par exemple, qui s’étale sur plusieurs mois).
On l'a dit tout à l'heure, certaines célébrations sont religieuses. D'autres, et elles sont nombreuses et universelles, sont liées à la chasse et au combat, avec une initiation dans la forêt, dans la savane, dans la jungle ou tout simplement le service militaire. Elles font écho aux responsabilités traditionnellement dévouées aux hommes : ramener la nourriture, défendre sa famille mais aussi sa patrie ou son village. Ainsi, chez les hommes, le passage à l’âge adulte va de paire avec de nouvelles responsabilités, mais elles sont plus liées à des devoirs professionnels et pas uniquement familiaux.
Sources
Armitage, S. (2017, 3 juin). 21 First period traditions from around the world. BuzzFeed. https://www.buzzfeed.com/susiearmitage/21-first-period-traditions-from-around-the-world
Jaroussain, M. (2020, 20 juin). Comment les règles sont-elles perçues dans le monde ? Potiches. https://lespotiches.com/tabous/corps/comment-regles-sont-percues-dans-le-monde/
Mendlinger, S. (2020). Researcher’s Reflection : Learning About Menstruation Across Time and Culture. Dans The Palgrave Handbook of Critical Menstruation Studies (p. 441‑447). Palgrave McMillan. https://doi.org/10.1007/978-981-15-0614-7_34
Qasim, A. (2019, 18 octobre). How do people around the world celebrate periods ? ActionAid UK. https://www.actionaid.org.uk/blog/news/2019/10/18/how-do-people-around-the-world-celebrate-periods
Vandekerkhove, C. (2015, 21 septembre). Ce que subissent les femmes, à travers le monde, quand elles ont leurs règles. RTL. https://www.rtl.fr/actu/sante/ce-que-subissent-les-femmes-a-travers-le-monde-quand-elles-ont-leurs-regles-7779744802